Nouvelles Questions Féministes, vol. 24(1)/2005

Au cur des mouvements de libration des femmes des annes 70, une protestation a rsonn avec force: Mon corps n'est pas vendre! . Revendiquer le droit la libre disposition de son corps, c'tait dnoncer le fait que, sous le rgime patriarcal, le corps fminin est rduit une marchandise, un instrument de travail ou encore un objet sexuel. Ce refus de la femme-objet est emblmatique du rapport tendu sinon impossible entre fminisme et objet. Il prsuppose en effet un rejet de l'objet tout court, comme si le monde et le langage de l'objet ne pouvaient signifier que dpossession, appropriation, domination, instrumentalisation, objectification ou encore dshumanisation du sujet fminin. Le rejet de l'objet n'est pas le propre du fminisme mais il place ce dernier devant un dilemme singulier: si la femme-objet incarne l'objet type du fminisme, est-ce dire que la libration des femmes sera sans objet ... ou ne sera pas? De toute vidence, notre monde actuel est peupl d'objets - cet aspect a t bien document par les tudes sociales des sciences et des techniques comme on peut le lire dans le Parcours de Madeleine Akrich. Et pour l'heure, puisqu'il n'est gure possible de leur chapper, nous sommes places devant le choix d'y faire face ... ou non. Ce numro de NQF entame la discussion: comment faire du fminisme avec objets? Quels sont les contours d'un fminisme qui rhabiliterait l'objet? Au fil des articles de ce numro, nous pourrons ainsi suivre les auteures nous conter des Histoires d'objets et exposer l'objet (du godemich l'objet de connaissance) dans tous ses tats. Un tat, bien classique celui-l, o l'objet s'oppose au sujet par exemple. Avons-nous toujours affaire, dans cette paire conceptuelle, un sujet qui agit et un objet qui est agi? Il semblerait bien que non. Dans un article qui porte sur les stratgies de lutte contre la pauvret, celle des femmes en particulier, Diane Lamoureux met en vidence qu' l'intrieur d'un rapport de pouvoir, une position d'objet peut produire une position de sujet. De son ct, Genevive Fraisse, qui s'attache dconstruire la notion du sujet femme , nous incite prendre acte que pour des sujets contemporains en devenir, il existe des positions d'objets viables, ou tout du moins des objectivations partir desquelles il est possible d'objecter. Est-il d'ailleurs si facile de diagnostiquer quand et sous quelles conditions un tre humain est rduit un statut de chose? Jennifer M. Saul, qui traite de la consommation htrosexuelle masculine de matriel pornographique, constate qu'il n'existe pas de rponse tranche cette question cruciale. Objet versus Sujet: il est difficile de faire sans - ce qui ne veut pas dire se contenter de faire avec . Mais, et cela change tout, il est possible de se jouer de la dichotomie. Voire de la djouer, la manire du corps dans le Body Art , comme le montrent Rachel Mader et Nicole Schweizer qui esquissent une histoire de l'art fministe, ou dans les pratiques des onanistes au 18e sicle dont Elsa Dorlin et Grgoire Chamayou font la gnalogie des technologies de rpression. Finalement, s'il est une morale aux Histoires que propose cette nouvelle livraison de NQF, ce serait une morale d'objet: la chose contient plus que la ngativit du sujet. tout le moins, les pratiques rprimes des masturbatrices nous parlent d'un objet qui cre la femme - hystrique, nymphomane certes, - mais aussi rebelle, puisque les trucs et les machins permettent de refuser une sexualit toute tourne vers la procration.