Lettres, 1904-1947
EAN13
9782889072149
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
C. F. RAMUZ
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Lettres, 1904-1947

Zoé

C. F. Ramuz

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Ramuz s’adresse au chef d’orchestre Ansermet, qui vit temporairement en
Allemagne, Il fait l’idiot en allemand de cuisine depuis Paris : À Ernest
Ansermet [Paris, 24 rue Boissonade, 17 novembre 1912] Wie gehen Sie, lieber
Freund und Madame Ansermet ? Ich schicke noch Ihnen Beiden meinen besten Danke
für ihre so gute und verdoppelte Hospitalität, und hoffe dass alles bei Ihnen
gut geht, und umher Ihnen in der Pervenche, im Kursaal und so weiter. Immer
Musik ? Immer Harmonie ? Harmonie von aller Sorte ? Es macht ein wenig grau
diese Zeiten hier, aber ich denke dass Sie, am See, noch Sonne haben, etwas
wie ein kleiner Sanckt-Martin Sommer … vielleicht. Ich … mais peut-être vous
serez à même de mieux comprendre moi si j’entreprenais vous parler en langue
française dans laquelle je fais exercice aussi souventement que possible est ;
donc, je disais que moi j’avais eu à l’arrivée ici un terrible dépaysement et
grande difficulté à reprendre l’habitude, mais présentement est la difficulté
considérablement surmontée, et recommencé ai-je à travailler… C’est bien plus
sérieusement qu’il se confie à Igor Strawinski : C’est vrai. J’aimerais
toujours écrire le même livre et reprendre le même thème… Comme ce n’est pas
possible, à cause des circonstances, j’essaie d’aller « en spirale » repassant
par intervalle au-dessus du point précédemment atteint. Je sais bien que tout
ça n’aura de sens que s’il y a un sommet et y en aura-t-il jamais un ?… Mais
auparavant, il lui fait des comptes d’épicier : Quant à la publication des
parties du texte qui peuvent vous être utiles, disposez-en tout à fait comme
vous l’entendez et en toute liberté ; vous n’avez qu’à les prélever dans
l’exemplaire « ordinaire » que je vous envoie par le même courrier, et à en
prévenir M. Kling qui me bombarde de lettres pour me demander quelles seraient
mes conditions, le prix de location des décors, etc. etc. Je l’ai prié de
s’adresser à vous ; il me répond que vous l’avez prié de s’adresser à moi :
finalement nous sommes convenus d’un minimum de 250 fr. chacun, pour droits
d’auteur (montant fixé par vous) et d’une même somme 250/2 pour la location
(des décors) soit 125 fr. chacun. A Edmond Jaloux il parle de sa manière à lui
d’écrire le français : Le « français » est-il définitivement « constitué » ou
peut-il devenir encore ? Et comme je suis dans l’impossibilité moi-même de
répondre à la question, vous devinez mes inquiétudes. Il faudrait donc que
vous me permettiez de préciser qu’il ne s’agit pas dans mon cas d’une simple
fantaisie personnelle. Je cherche à exprimer à travers moi quelque chose. Je
ne suis qu’un outil (médiocre). Tout un petit peuple me sollicite. Ceux qui
ont été jusqu’ici sans expression, ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Et
alors j’irais jusqu’à dire que ma faute serait de ne pas avoir été encore
jusqu’au bout de mes défauts, parce que c’est alors seulement qu’ils
deviendraient des qualités. En tout cas, c’est dans ce sens que je me sens
impérieusement poussé, quoi qu’il puisse en advenir, mais que faire ? Il faut
tout jouer sur une carte. Il insiste auprès de Henri Poulaille : Je suis
licencié-ès-lettres classiques, ne le dites pas. Dites que je me suis appliqué
à ne pas être licencié-ès-lettres classiques, ce que je ne suis pas an fond,
mais bien un petit-fils de vignerons et de paysans que j’aurais voulu
exprimer. Un très bel extrait d’une lettre à Paul Claudel, la langue du peuple
« est la seule qui compte parce que tout en sort et que tout y rentre et
qu’elle ne peut pas se tromper» : La « parlure », comme vous dites, c’est bien
vers elle que d’instinct, et exclusivement, je me suis tourné dès mes débuts.
Vous nous avez donné dans votre œuvre par ci par là (et entre autres choses)
les premiers modèles d’un grand style paysan, et j’insiste sur « style » plus
encore que sur « paysan ». Vous avez tiré la littérature de l’ornière où on
voit même Balzac se traîner parfois et qui est celle de toutes ces « enquêtes
sociologiques », et autres « études de mœurs » où sous prétexte de roman
d’innombrables auteurs méprisent et flattent à la fois le peuple (ce qu’il en
reste) et la langue de ce peuple qui est la seule qui compte, parce que tout
en sort que tout y rentre et qu’elle ne peut pas se tromper, mais que ces
échappés de Sorbonne n’utilisent qu’entre guillemets, c’est-à-dire ne touchent
qu’avec des pincettes. Pour finir, deux lettres très émouvantes de Ramuz
malade, quelque mois avant sa mort, l’une à Paulhan, l’autre à son petit-fils
adoré : À Jean Paulhan [La Muette, Pully, Vaud (Suisse), 5 novembre 1946] Cher
ami, Quelle bonne idée vous avez eue de m’écrire. Je ne savais plus rien de
vous. J’espère seulement que les nouvelles sont bonnes et que les crachins,
les pluies, les tempêtes de la Bretagne n’auront pas été trop défavorables à
votre santé. C’est une bien bonne idée encore que de reprendre la N.R.F. (même
si vous ne la reprenez pas, mais elle manque terriblement.) Merci d’avoir
pensé à moi. Mais hélas ! cher ami, je ne fais plus rien. Je prends pour la
première fois de ma vie des vacances, et involontaires. Ça ne va pas bien fort
et j’aime mieux ne rien faire que de tomber au-dessous de moi-même
(c’est-à-dire de pas bien haut). Voulez-vous m’excuser et me permettre de ne
vous envoyer quelque chose que si j’ai une idée qui me porte. Je vois de mieux
en mieux qu’il n’y a d’œuvre que de nécessité. Non : je n’ai pas reçu le «
Cahier de la Pléiade » dont vous me parlez. Et, si vous avez encore un «
Braque ». Il me semble grandir de tout ce qu’un Picasso perd. Est-ce que je me
trompe ? Mais je ne vois tout ça que de loin, de très loin. Je ne sors plus.
Je suis toujours plus en dehors de la vie. Je pense avec regret au clocher de
Saint-Germain, ce noir de la pierre, ces enterrements, ces mariages, ces
terrasses. Dites-moi seulement comment vous allez et veuillez bien croire à ma
fidèle amitié C.F. Ramuz À Monsieur Paul [4 mai 1947] Cher Monsieur Paul, Je
t’écris vite avant de partir pour la clinique. Une lettre personnelle que tu
tâcheras de lire tout seul. Je m’applique tant que je peux : n’est-ce pas que
j’écris bien ? On doit m’ouvrir le ventre avec un grand couteau. Je vais,
cette fois, dans une autre clinique, qui s’appelle « La Source » ; j’aurais
bien aimé qui tu puisses venir m’y faire visite. Heureusement que j’ai de
bonnes nouvelles de toi. Ta mère me dit que tu es très sage et que tu te
portes bien. Que tu as commencé le traitement pour les gaz : est-ce que ça ne
sent pas trop mauvais ? Cher Monsieur Paul, continue, parce que quand tu vas
bien, je vais mieux et quand tu es malade, je suis malade. Tâche d’avoir bon
appétit pour que je trouve du plaisir à manger. Sois sage et obéissant pour
faire plaisir à tes parents qui font tout ce qu’ils peuvent pour que tu sois
heureux. Écris-moi une fois. Il peut-être à cet été. Si tout va bien, je serai
guéri. Je t’embrasse bien fort, cher Monsieur Paul ; embrasse, encore de ma
part ton père et ta mère. J’ai écrit l’autre jour ; Maintenant je dois faire
mon baluchon. Encore un bec dans ce rond. Papapa Charles-Ferdinand Ramuz (
1878-1947) est l’écrivain le plus important de Suisse romande. Né à Lausanne,
il fait des études de Lettres puis s’installe pour dix ans (1904-1914) à Paris
où il étudie à la Sorbonne, fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le
peintre René Auberjonois, écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté
(1909), Vie de Samuel Belet (1913). Dès ces premiers textes, les thèmes
ramuziens tels que la solitude de l’homme face à la nature, l’amour et la
mort, la nature personnifiée sont déjà présents. En 1906, il fait un premier
séjour en Valais, à Chandolin. Il tombe amoureux de la montagne. Jean-Luc
persécuté est le premier roman dont la montagne est le décor. Peu à peu, Ramuz
abandonne la narration linéaire et la multiplication des points de vue et
adopte souvent un narrateur collectif et anonyme, « on ». Ses romans parlent
d’ordre et de transgression, de création et de destruction, toujours d’amour
et de mort. Son écriture audacieuse lui valent des critiques de ceux qui lui
reprochent d’écrire mal « exprès ». Dès 1924, Grasset publie les livres de
Ramuz et lui assure ainsi un s...
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