Deux passions
EAN13
9782889070879
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
ZOE POCHE
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
S'identifier

Deux passions

Zoé

Zoe Poche

Indisponible

Autre version disponible

Zoé a de longue date à son catalogue Emerentia, l'un des deux textes qui
forment le diptyque "Deux passions" (Gallimard, 1979), d'abord en Minizoé,
puis en Zoé Poche. Nous reprenons en 2022 le livre dans son intégralité, avec
une préface inédite de Jérôme Meizoz. Extraits de la préface de Jérôme Meizoz
La première [novella de Deux passions], Emerentia 1713, reprend un personnage
de Gottfried Keller, la petite Meret de Henri le Vert (1855), pour raconter
les tourments d’une enfant diabolisée par le clergé catholique dans le Valais
de l’Ancien Régime. La seconde, Virginia 1891, donne fictivement la parole à
la mère de l’autrice Catherine Tapparel, née cette année-là, fille de paysans
et seconde épouse du peintre Edmond Bille chez qui elle fut bonne d’enfants.
Corinna Bille perd cette mère très aimée en 1974 et souhaite faire revivre son
souvenir : « Ma mère m’a donné l’image de cette adolescente », note-t-elle au
seuil du récit. Le récit fait largement écho à son premier roman, Théoda
(1944), non seulement par son décor alpin, mais en donnant directement la
parole à la protagoniste, selon un procédé familier de Henry James (What
Maisie knew, 1897) à Faulkner (As I Lay Dying, 1929). Par ailleurs, Virginia
1891 dialogue avec le roman charnel de Pierre Jean Jouve, Paulina 1880 (1925).
Cet écrivain français, ami de la famille Bille, préfacier de Juliette
éternelle (1971), a favorisé l’entrée de Corinna Bille chez Gallimard. Deux
passions donc, mais aux significations différentes : passion amoureuse de la
jeune Virginia, paysanne de quinze ans, pour « Monsieur », riche peintre dont
elle est la bonne d’enfants ; passion (au sens de la passion du Christ) de la
petite Emerentia, sept ans, issue de la noblesse de Sion et confiée au Doyen,
un prêtre de village qui la maltraite, l’isole et la catéchise en vain,
persuadé d’avoir affaire à une « sorcière », complice de Satan. Emerentia,
dans son innocence d’enfant charismatique, parle aux taureaux, aime vaquer nue
dans les châtaigniers et rejette tous les livres religieux. Son corps exprime
une sensualité naturelle sans notion de péché. « La nature est païenne et
l’enfance en est si proche… N’arrachons pas les fleurs en croyant détruire
l’ivraie », dit le Grand-Vicaire pour s’opposer aux punitions du Doyen, figure
rigide de la Contre-Réforme. Ces deux récits alpins, au réalisme sensoriel
exacerbé, ont en commun l’éducation de jeunes filles (en 1713 et en 1891),
pleinement heureuses dans une nature âpre et puissante, mais subissant
l’influence d’un clergé catholique obsédé par le démon. Corinna Bille projette
dans ces personnages l’univers onirique si familier aux lecteurs de ses
nouvelles : la sensualité « panique » (inspirée par le dieu Pan), qui se
développe dans le décor odorant, rude et lumineux des Alpes, contrariée par la
culpabilité chrétienne à l’égard du corps féminin en particulier. Dans
Emerentia 1713, l’issue est tragique : « On lui a enlevé ce qui lui convenait
le mieux et qui était elle-même : la bonté, la douceur des êtres frustes et
des bêtes, la grâce des végétaux, la mère forêt. » ; dans Virginia 1891, récit
d’initiation heureuse, l’amour vient abolir la distance sociale entre la bonne
et le « Monsieur » bourgeois protestant qu’elle fascine par son naturel. D’une
forte cohérence symbolique, l’œuvre de Corinna Bille affirme la permanence du
primitif dans l’homme moderne et l’inconditionnel amour du monde, en écho aux
romans de Jean Giono. L’attention pour les non-dits des relations humaines et
pour la souffrance intime évoque plutôt Tchekhov, autre grande admiration
littéraire de la romancière. L'auteure Corinna Bille (1912-1979), romancière
inventive, aimait raconter des histoires, c’est-à-dire vivre plusieurs vies
simultanément, démultiplier les possibilités, écouter toutes les voix qui
l’habitaient, être plurielle, quand bien même elle restait elle-même, plume ou
crayon en main, papiers proches et temps compté. Tout lui était bon. Elle a en
effet pratiqué le roman, la nouvelle, la poésie, le théâtre, le conte,
l’histoire et exploré nombre de formes : brèves ou longues, réalistes ou
imaginaires, personnelles ou impersonnelles, fantaisistes, obliques ou graves.
Grande lectrice, aussi bien de poèmes que de traités, de contes que d’essais,
notamment anthropologiques, elle a emprunté et fait son miel des univers
racontés, décrits et pensés, de façon à appuyer son monde à elle, intimement
connu, sur un socle mythique, archaïque, commun à l’humanité, quel que soit
son lieu et son temps. Fille d'Edmond Bille et de Catherine Tapparel, elle
épouse en 1934 un acteur de la troupe de Dullin, Vital Geymond, vit à Paris
(1934-1936) et voyage en Espagne et en Italie. De retour en Valais, elle
rencontre Maurice Chappaz en 1942 et de 1943 à 1947, année du mariage, le
couple s'installe dans le Haut-Valais près de Rarogne. De son second mariage,
elle a eu trois enfants. Corinna Bille passe la majeure partie de son enfance
en Valais, région qui va fortement influencer son œuvre. Après un séjour à
Paris, elle publie son premier recueil de poèmes (Printemps, 1939) et son
premier roman (Théoda, 1944), suivi du Sabot de Vénus (1952) et de plusieurs
recueils de nouvelles. C'est avec La demoiselle sauvage (1974, bourse Goncourt
de la nouvelle 1975) que son talent est reconnu à l'étranger. Une biographie
lui a été consacrée par Gilberte Favre en 1981, rééditée en 1999 aux éditions
Z et en 2012 aux éditions de L'Aire (collection L'Aire bleue). À la question «
Pourquoi écrivez-vous ? » Corinna Bille répond : « On ne peut pas supporter le
bonheur, on ne peut pas supporter la souffrance. L'écriture c'est un remède à
l'insupportable. Mon travail seul me donne l'équilibre, la cohérence
nécessaire, que ni le social, ni le religieux, ni l'aventure, ni même la
maternité ne peuvent m'assurer. » Le préfacier Jérôme Meizoz, né en Valais,
vit à Lausanne. Lauréat d’un Prix suisse de littérature 2018 pour Faire le
garçon (Zoé, 2017), il a notamment publié Séismes (Zoé, 2013, Zoé Poche, 2022)
et Malencontre (Zoé, 2022). Il est par ailleurs professeur associé à
l'université de Lausanne, spécialiste de la littérature romande.
S'identifier pour envoyer des commentaires.