Le Besoin des choses et autres chroniques
EAN13
9782889072293
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
C. F. RAMUZ
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Le Besoin des choses et autres chroniques

Zoé

C. F. Ramuz

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« Le banal et le général », premier article critique, en 1907. Ramuz, qui
n’est alors l’auteur que de deux romans, commence par tenter une définition du
genre : « Il faut ajouter tout de suite que le terme de roman sera pris dans
sa seule acception littéraire. Toute une catégorie de romans, et non la moins
nombreuse, échappe en effet, volontairement du reste, à la littérature. Ils ne
prétendent qu’amuser et distraire un moment. Une intrigue « bien menée », des
personnages « sympathiques », l’attention tenue en éveil, un style « facile et
coulant » : voilà ce qu’on attend d’eux, on ne leur demande pas autre chose.
Mais ils n’ont rien qui puisse retenir. Placé devant la vie, le philosophe en
dégagera une philosophie, le moraliste une morale : le romancier est un
artiste, il en tirera une œuvre d’art. Son rôle, mettons, si l’on veut, son
devoir, car il y a dans sa mission quelque chose d’impératif, son rôle à lui
n’est nullement de redresser, ni d’enseigner, ni même de renseigner : avec les
éléments qu’il a à sa disposition, il cherchera à faire de la beauté. » Ramuz
pose que pour toucher le plus grand nombre, le romancier doit s’attacher à des
éléments communs à l’humanité entière : « La raison tend à séparer les hommes,
c’est la passion qui les rapproche. C’est à elle que le romancier devra
s’adresser. L’amour, la haine, la jalousie, l’avarice, l’ambition, tous ces
grands mouvements du cœur, dès qu’ils sont impétueux au point de se dégager de
tout contrôle, ont des manifestations toujours pareilles dans leur essence. Je
ne sais pas si on en a fait l’expérience : mais je suis pour ma part persuadé
que certaines scènes de Shakespeare, ou d’Eschyle ou bien de Sophocle
trouveraient chez les paysans de chez nous des auditoires passionnés. Faisons
l’expérience contraire et prenons les livres d’un contemporain qui parle notre
langue, M. Anatole France, si on veut, (et je ne mets ici aucune intention de
blâme), il ne rencontrera d’admirateurs convaincus que dans une classe de
lecteurs dont la culture sera, sinon égale, du moins analogue à la sienne. M.
Anatole France, dans son domaine, fait œuvre de maître, mais son domaine est
très restreint. » Les lignes qui concluent son article en disent long sur
l’ambition que nourrit le jeune Ramuz pour ses propres romans : « Ce n’est que
dans l’union d’un drame très humain et très général d’une part, et d’une
personnalité très distincte, il faut le répéter, qu’est la grandeur d’une
œuvre. Il importe qu’en le touchant, elle replie le lecteur sur lui-même et le
fasse un instant vivre d’une vie plus intense, puis qu’elle le renseigne du
même coup sur l’écrivain qui a regardé à sa manière vivre, aimer et souffrir.
» En 1914, Ramuz a 36 ans et s’interroge sur les conditions matérielles d’une
vie d’artiste : « Tentation de l’argent : quel besoin de s’estimer soi-même
plus que tout, quelle confiance en soi, quel amour de la lutte, quelle énergie
pour y résister ! J’écris un livre, par exemple : je sais très bien que le ton
choisi, étant donné tel public, déplaira. Seulement les moyens mis en œuvre me
permettraient aisément de lui plaire : il suffirait de lui donner ce qu’il
réclame, et pourtant je ne le fais pas. En ne le faisant pas, je me prive non
seulement d’un gain, puisque gain il y a, je me prive aussi de louanges, dont
la rumeur serait agréable, je me prive d’un appui ; loin de trouver un soutien
dans l’opinion, je m’en fais une ennemie. Toutes les difficultés à la fois !
Qu’y a-t-il qu’on passe outre ? La réponse, je crois, est facile : le vrai
artiste ne peut pas ne pas passer outre, il ne peut pas être autrement qu’il
est. » En 1917, la guerre fait rage tout autour de la Suisse. C’est l’hiver,
Ramuz écrit : « Je vois tomber la neige et j’entends crier les enfants ; une
toute petite fille court dans le jardin, et tombe. Elle se relève, tombe de
nouveau ; elle rit. Elle s’essaie, comme les grands, à « jeter des boules ».
Elle regarde construire ce bonhomme, qui a une vraie pipe à la bouche. Et puis
la pluie se met à tomber, la neige s’en va, le jardin redevient noir ; mais
l’affreuse boue elle-même, et l’affreuse couleur du ciel, comme envahi lui
aussi par la boue, lui sont une nouvelle occasion de bonheur ; le changement
seul suffit aux enfants ; ils se nourrissent du changement plus encore que des
objets successifs qu’il leur présente ; quelle leçon ils nous donnent, quelle
force ils sont parmi nous ! » Assourdi par le vacarme des années précédentes,
Ramuz formule en 1918 son « besoin des choses », un recours au monde sensible
et concret qu’il oppose aux idées destructrices : « Je sors et je m’en vais
dans ce pays, sans plus rien savoir. On comprend qu’il faut recommencer à
savoir par le bas, c’est-à-dire par sentir, et seules les choses familières et
sûres conviennent, qui vous connaissent, et qu’on connaît. Là est la vraie
humilité de ces moments où on n’est plus rien qu’on se laisse du moins aller,
qu’on s’abandonne du moins un peu à ce qui peut encore vous faire accueil.
Cette façade blanche de l’auberge vous sourit avec une figure où résident pour
vous toute sécurité et toute certitude, et les lourdes tables de sapin peintes
en brun vous offrent derrière les vitres leurs magnifiques proportions. Rien
qui ne se mesure d’un coup d’œil et l’œil intérieur ne contredit pas l’autre.
Je ne doute pas de moi quand je respire l’odeur des pipes ou que le vin
nouveau sent le soufre dans le verre côtelé. On a méprisé les choses : est-ce
qu’on ne va pas sentir qu’elles sont parfois la vraie nourriture, la seule
sauvegarde aussi ? » Au début des années 1930, Ramuz se fait l’observateur
acéré des changements qui affectent, en particulier, la ville de Lausanne et
le canton de Vaud : « Drôle de peuple que ces Vaudois (dont je suis). Peuple
d’autant plus bizarre à observer que sa bizarrerie consiste précisément à
éviter tout ce qui pourrait en porter le signe, c’est-à-dire tout excès en
quelque sens que ce soit, de quelque nature qu’il puisse être. Peuple
géographiquement constitué, avec des frontières naturelles : en possession
d’un pays riche et qui se suffit à lui-même, d’un pays qui est beau, d’un pays
qui est varié ; espèce de nation, à soi tout seul, mais toute petite ; – et
qui parce qu’elle est petite, et qui parce qu’elle est aux frontières, à son
tour et entre des frontières de toute espèce, depuis longtemps déjà, hélas !
je pense, est devenue quand même une manière de prison pour ceux-là mêmes qui
l’occupent, et l’aiment, et s’y trouvent bien, – mais avec, tout au fond d
’eux-mêmes, un regret qu’ils ne sauraient pas exprimer le plus souvent, la
nostalgie de quelque chose. » En 1931, il pose des questions qui n’ont pas
pris une ride près d’un siècle plus tard : « Pourquoi est-ce qu’on travaille ?
parce qu’on y est forcé. Pourquoi est-ce qu’on y est forcé ? Pourquoi est-ce
qu’il y a des hommes qui ne travaillent pas du tout, d’autres peu, d’autres
beaucoup et beaucoup trop, dans la société moderne ? Quel a été le rapport du
gain au travail dans les temps anciens ? Quel est actuellement son rapport ?
Travaillait-on autant (en moyenne) il y a cinq cents ans ou seulement il y a
cent ans ? Travaillera-t-on autant (en moyenne) dans cent ans, dans cinq cents
ans ? » C. F. Ramuz (1878-1947) est l’écrivain le plus important de Suisse
romande. Né à Lausanne, il fait des études de Lettres puis passe dix années à
Paris, où il fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le peintre René
Auberjonois et écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Vie
de Samuel Belet (1913). Dès ces premiers textes, les thèmes ramuziens de la
solitude face à la nature, l’amour et la mort sont déjà présents. L’écrivain
rentre en Suisse peu avant la guerre.Progressivement, Ramuz abandonne la
linéarité de l’intrigue et adopte un narrateur souvent collectif et anonyme.
Ses romans parlent d’ordre et de transgression, de création et de destruction,
toujours d’amour et de mort. Son style audacieux lui vaut des critiques : on
lui reproche de faire « exprès » de mal écrire. Dès 1924, Grasset publie ses
livres et lui assure un succès auprès des critiques et du public. Son œuvre
est aujourd’hui publiée dans la collection de la...
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